Note d’intention de l’artiste
Comment l’artiste peut-il appréhender la matière d’une toute nouvelle manière, sculptant et structurant ses constituants internes pour modeler ses propriétés physicochimiques ? Quelle est alors la rencontre des sensibilités entre l’homme et la matière ? Utiliser la matière performeuse, c’est-à-dire performante et active, conduit à la réalisation d’œuvres responsives, c’est-à-dire interactives.
Alors qu’un art de l’immatériel s’est développé au cours du XXe siècle, cette matérialité renouvelle pour l’art contemporain sa manière d’aborder le très ancien couple hylémorphique matière/forme. L’artiste sculpte non pas la forme extérieure, mais les sous-structures internes de la matière, non pas l’objet mais ses propriétés. Prenant acte de son passage par le monde des idées, la matière se pose comme présence à la fois tangible et immatérielle, matière et matière grise. Une matière « qui a un poids, qui a un cœur », pour reprendre l’expression de Gaston Bachelard, et dont le toucher – de l’effleurement poétique à la tactilité contenante, de l’enlacement amoureux à l’écrasement destructeur – peut nous toucher au plus profond. Une substance performeuse, puisque performante et active, dont l’intense présence et la capacité d’étrangéisation du réel éveillent des sentiments esthétiques d’une grande richesse. Elle se fait responsive pour donner corps à des œuvres interactives d’un autre genre, avec lesquelles nous entrons en relation directement par le langage de la matière. Une matière à penser, puisque notre pensée est d’abord corporelle. Penser par exemple les limites de la matière, à l’aube de notre marche vers le vivant artificiel.
Première Impression est le titre d’un corpus d’œuvres liant l’art contemporain à la biologie, la synthèse chimique, l’informatique et l’ingénierie. Comme point de départ, l’utilisation d’un matériau plastique d’une nature très singulière, pour « fabriquer » des objets : des molécules d’ADN.
• Scénarii sur les dispositifs à développer et expérimenter
- Mytic-Trafic
Nouvelle version de l’installation Trafic, cette installation est imaginée comme une première étape vers le monde de la matière et du vivant. Permettant de rendre visible des « proto-cellules », c’est-à-dire des cellules n’ayant pas encore atteint le statut de vivant, elle propose d’agrandir ce qu’il se passe dans de petits canaux où se déplacent de manière extrêmement régulière de petites gouttes de fluide dans un fluide porteur, de rendre ainsi compte de la réaction chimique qui se passe à l’intérieur de chacune d’elle telle la complexification d’un sucre. Car, c’est à partir de cette complexification que l’ARN a pu un jour se former, dans le fond de nos océans, puis ensuite l’ADN. Mytic-Trafic permettra ainsi de voir à la fois ce qu’il se passe dans le tout petit, mais également ce qu’il s’est passé il y a tant d’années à l’orée du vivant.
- La Tour des Babels
Des petites briques en ADN, semblables à celles d’un jeu de lego, serviront à fabriquer une grande tour. A coté de la tour, une liste restituant le résultat des analyses devant permettre de déterminer le génome de chaque molécule trouvée dans l’ADN que nous avons fabriqué, montrant à quel point l’analyse a échoué dans sa tentative. Des dessins proposeront une restitution d’un travail consistant à trouver la combinaison des génomes d’animaux, d’hommes, de plantes permettant de se rapprocher au mieux du génome obtenu avec notre synthèse d’ADN. Cinq photographies seront également présentées, portraits de Louis Babel, prêtre-missionnaire oblat et explorateur du Nouveau-Québec (1826-1912), Isaac Babel, écrivain et dramaturge russe (1894-1940). Henry Babel, théologien et pasteur suisse (1923-). Ryan Babel, joueur de football néerlandais (batave) (1986-), Roger Viry-Babel (1945-2006), universitaire et cinéaste français.
- Première Impression
Les molécules d’ADN seront ici utilisées comme des plastiques, une matière première pour produire des figurines par impression 3D. L’impression se fait à partir d’un fichier source qui est celui d’un visage conçu comme un archétype, sorte de moyenne d’un grand nombre de visages, masculins ou féminins car la forme précise d’un visage est la partie du corps qui permet le mieux de nous identifier. Issus d’un même archétype, les visages des statuettes seront toutefois tous différents suite à des bugs sur le fichier informatique modifiant leur morphologie en amont de l’impression. Peu à peu, les statuettes obtenues seront alignées bien rangées sur une étagère alors qu’une autre statuette pourra être vue en cours de fabrication.
Restitution
Ces dispositifs seront visibles lors de temps d’expositions à l’Espace Jean-Roger Caussimon et dans d’autres lieux d’art du département et de la région Poitevine. Cette restitution donnera lieux à des rencontres-débats, des visites-ateliers, et générera une documentation en ligne et un catalogue.
Un site internet accompagnera ainsi les phases de recherches et de production, permettant de rendre compte du projet au fil du temps à travers la mise en ligne d’un documentaire, des rencontres-débats qui viendront ponctuer la résidence et des recherches scientifiques liées à la production de l’ADN.
Rencontres avec les publics & ateliers
• Rencontres en présence de l’artiste
- À l’Espace Jean-Roger Caussimon
Rencontre-débat pour un État des lieux de la matière en art par Jean-Baptiste Labrune, anthropologue du design et chercheur affilié au Médialab du MIT
Présentation du travail de l’artiste et projection du documentaire réalisé par le Lieu Multiple de Poitiers lors de la phase de recherche d’un mois à Paris et Poitiers
Approche anthropologique du projet par un chercheur invité
- Au centre Georges Pompidou
Le livre L’image-matière & métamorphoses imaginaires écrit par l’artiste et publié par Dis Voir sortira pendant la phase de conception. Un colloque au Centre Georges Pompidou sur les matériaux émergents en art contemporain (soutenu par Paris Sciences et Lettres et l’ENSAD) sera ouvert au public sur une journée pendant cette même période.
- Chez nos partenaires
D’autres temps de rencontres avec les publics viendront ponctuer la résidence, en lien avec les structures partenaires (Lieux multiple de Poitiers, EnsadLab, laboratoires de synthèse de l’ADN…).
• Atelier de création
Pour aller à la rencontre du travail engagé par l’artiste, le Club Science des écoles élémentaires Jean Moulin et Eugénie Cotton de Tremblay-en-France imagineront en sa compagnie de petites sculptures mobiles. Un temps de rencontre avec l’artiste sera ainsi suivi d’une exploration artistique de matériaux émergent de type bilame permettra aux enfants de se sensibiliser à l’importance de la structure interne de la matière tout en imaginant des sculptures « bilames » en mouvement.
Les sculptures ainsi crées seront présentées sous forme d’exposition à l’Espace Jean-Roger Caussimon en juin 2016.
• Autour du temps de résidence et de restitution
- Visites commentées pour les groupes et individuels
Visites commentées autour d’œuvres artistiques en lien avec la réflexion menée puis autour des œuvres présentées lors de la restitution.
- Visites-ateliers scolaires
Visites-ateliers en direction des élèves de primaire et secondaire pour aller à la rencontre du travail engagé par l’artiste proposant un temps de rencontre avec une œuvre suivi d’une mise en pratique permettant de développer l’un des axes abordés.
Site Internet et documentation
Dans un premier temps, le développement des projets pendant le temps de résidence sera visible sur un site dédié, et les photographies de documentation seront mises en ligne accompagnées de textes courts rendant compte des avancées et difficultés rencontrées.
Pendant le temps d’exposition, une documentation du projet sera mise en ligne sur une borne de consultation. Documentaires vidéo et/ou audio, photographies et textes d’accompagnement y seront disponibles. Une publication sur le travail sera proposée avec des textes plus théoriques sur le travail effectué.
COMITÉ SCIENTIFIQUE
Thierry Ferreira, CNRS, Université de Poitiers
Andrew Griffiths et Philippe Nghe, labo de Biochimie, ESPCI.
Benoît Roman, Etienne Reyssat, José Bico et Daniel Beysens, chercheurs et enseignants-chercheurs au laboratoire PMMH, ESPCI, Paris.
Patrick Tabeling, directeur du laboratoire MMN, ESPCI, Paris.
Emmanuel Ferrand, artiste et maître de conférence en mathématiques, Paris IV, Paris.
Jean-Baptiste Labrune, chercheur et enseignant ENSAD, conseil, Paris, affilié au Medialab du MIT.
DOMINIQUE PEYSSON
Dominique Peysson vit et travaille à Paris. Elle est artiste plasticienne, après avoir été scientifique en science des matériaux. Elle a ainsi débuté sa carrière professionnelle comme maître de conférences en physique et chimie des matériaux pendant trois ans à l’Ecole Supérieure de Physique et Chimie Industrielle de la ville de Paris (ESPCI), après avoir fait un post-doc à l’université de Cambridge (Angleterre) et une thèse à l’ESPCI. Elle a ensuite suivi le cursus L3, M1, M2 à Paris 8 (Saint-Denis) en art contemporain et nouveaux média avant de continuer son cursus à l’EnsadLab, laboratoire de recherche des arts décoratifs, pendant lequel elle a travaillé sur sa thèse de doctorat affiliée à SACRe. Son travail de plasticienne s’est accompagné d’une recherche théorique sur les matériaux émergents pour l’art contemporain. Cette deuxième thèse de doctorat, Ce qui nous touche, ce que nous touchons : les matériaux émergents à l’épreuve de l’art contemporain. De nouvelles formes de rencontre des sensibilités entre l’homme et la matière sous la direction d’Olga Kisseleva (Paris 1 Panthéon Sorbonne), a été défendue le 10 décembre dernier et a reçue la mention très honorable avec les félicitations unanimes du jury.
Elle a aujourd’hui une pratique de plasticienne et encadre des travaux de recherche des étudiants SACRe, avec qui elle développe des projets en lien avec des laboratoires de physique, chimie et biologie. Elle travaille comme post-doctorante dans le cadre d’un appel à projet « structurer la recherche » de PSL pour monter des projets art et science entre les écoles d’art et les instituts scientifiques de PSL. Elle a exposé ses travaux dans différents contextes et compte plusieurs publications et chapitres de livres. Elle a enseigné en 2012 à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées (ENPC) avec l’équipe enseignante du cours « Arts, sciences, Technologies, Société : Pratiques de Médiation Scientifique ». Elle a organisé également plusieurs évènements Art/Sciences. Elle a été auteur-illustratrice de livres pour enfants, et donne également des cours d’arts plastiques dans les centres culturels de Rueil-Malmaison depuis 2005.
vernissage le 11 janvier à partir de 18 h
Un projet développé en partenariat avec le Lieu Multiple, l’école de l’ADN et le laboratoire Ebi-Carbios et soutenu par le Département de la Seine-Saint-Denis et la Région Ile-de-France.